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L’ACIDE HYALURONIQUE :

DE LA MOLÉCULE ENDOGÈNE AUX GELS INJECTABLES

                                   

Denis COUCHOUREL, PhD.  

Directeur scientifique et médical des Laboratoires VIVACY

L’acide hyaluronique endogène En 1934, Karl Meyer et John Palmer décrivirent un nouveau polysaccaride initialement isolé à partir d’humeur vitrée bovine. Cette substance contenait un acide uronique et un sucre aminé, elle a donc été baptisé acide hyaluronique (AH). Durant les années qui suivirent, l’AH fut isolé à partir de nombreuses sources : l’humeur vitrée, le cordon ombilical humain ainsi que la crête de coq (Fuoss et al, 1948). En 1937, Kendall publia un article qui décrivait la présence d’AH dans la capsule des bactéries Streptococci de groupes A et C (Kendall et al, 1937). Ce travail allait révolutionner l’utilisation de l’acide hyaluronique bien des années plus tard puisque la fermentation bactérienne constitue encore actuellement la source d’AH la plus fiable et la plus sûre dont nous disposons pour le développement des applications médicales. Durant la même période, d’autres observation ont permis de mettre en évidence l’existence d’une molécule capable de d’augmenter drastiquement la perméabilité des tissus conjonctifs en provoquant la dépolymérisation de l’AH.  (Duran-Reynalds, 1929). Ainsi, l’étude et l’utilisation des hyaluronidases a permis de mieux comprendre la structure primaire de l’AH. C’est ensuite le Dr Endre Balazs scientifique hongrois, qui a définitivement impulsé la recherche applicative sur l’AH. En particulier, il a été le premier à décrire que le fait que la matrice extracellulaire de la membrane synoviale articulaire contenait assez d’AH visqueux pour remplacer le liquide intra-articulaire (Balazs et al, 1943) a ainsi ouvert la voie à tous les travaux subséquents qui ont mené à la première application médicale robuste des injections d’acide hyaluronique : la viscosupplémentation articulaire. Depuis, d’autres voies ont été exploitées dans l’ophtalmologie, la chirurgie viscérale et bien entendu dans la médecine esthétique. Ces applications tirent essentiellement partie des propriétés rhéologiques particulières qui peuvent être obtenues à partir de gels d’AH L’acide hyaluronique est un polymère composé de disaccharides, dont l’unité de base répétée n fois, est composée d’un acide gluconique et d’un N-acétyl glucosamine (figure 1)

Figure 1. monomère d’acide hyaluronique. Le poids moléculaire de l’AH est donc proportionnel au nombre de disaccharides présents. C’est aussi un polymère poly-anionique, donc très chargé électriquement.

Il appartient au groupe des glycosaminoglycanes (GAG).  Parmi ceux-ci, l’AH est le seul GAG non associé de manière covalente à une protéine, le seul non synthétisé via l’appareil de Golgi, et le seul qui n’est pas sulfaté. Sa masse moléculaire peut atteindre 105 à 107 Daltons.  In vivo, l’AH joue un rôle crucial dans de nombreux processus tels que: le maintien de la viscoélasticité des liquides biologiques (liquide synovial, humeur vitrée), le contrôle de l’hydratation des tissus, le transport de l’eau, l’organisation des protéoglycans dans les matrices extra-cellulaires, les migrations cellulaires lors du développement embryonnaire, le développement des processus inflammatoires et la cicatrisation (Cowman et al, 2005). L’AH est détectable dans de nombreux tissus humains tels que: l’humeur vitrée, le cartilage,  le liquide synovial, la peau,  les muqueuses (Almond A, 2007 ; Laurent UBG et al, 1991). D’un point de vue quantitatif, chez un homme de 70kg nous pourrions retrouver environ 15 grammes d’AH dont le tiers serait dégradé (et donc resynthétisé) chaque jour. C’est donc une molécule très fragile avec un turn-over intense et rapide (Figure 2) .

Ainsi, la demi-vie de l’AH endogène dans les matrices extra-cellulaires n’excède jamais quelques semaines. Dans la peau spécifiquement, la quantité d’AH mesurée s’établit à 0,5mg/g dans le derme et 100 mg/g dans l’épiderme (Reed et al, 1988) avec une demi-vie de 1,5 jours (Tammi et al, 1991). Il est synthétisé par les « hyaluronan synthases » qui forment un groupe de 3 isozymes (HAS-1, HAS-2 et HAS-3). Elles fonctionnement différemment puisqu’elles sont capables de synthétiser des molécules de différents poids moléculaires.(Gupta, 2019) . L’AH est localisé dans les compartiments extracellulaires majoritairement, et a bien évidemment un rôle critique dans la régulation de l’homéostasie hydrique et l’hydratation de ces tissus. Notons au passage que bien que l’épiderme soit un tissu conjonctif spécialisé constitué d’une matrice extracellulaire abondante et de relativement peu de cellules, c’est bien dans l’épiderme (où cette fois les kératinocytes sont proportionnellement très nombreux) que la concentration d’AH est la plus élevée. Or, la peau est un organe de protection contre des stimuli tels que la lumière, les UV, les polluants et autres stress oxydatifs. Dans ce contexte, l’AH de l’épiderme pourrait jouer un rôle d’absorbeur des radicaux libres induits par ces agressions externes protégeant de ce fait les structures qui lui sont adjacentes (collagène et membranes cellulaires notamment). 7 à 8g (50% de la quantité totale) sont d’ailleurs spécifiquement détectés dans la peau (Hascell et al, 1997). En marge de ces fonctions intrinsèques (hydratation et protection anti-oxydative), il est important de souligner qu’un certain nombre de récepteurs spécifiques à l’AH ont été caractérisés depuis une quinzaine d’années. Ces molécules ont été globalement désignées sous le terme de hyaladherines. En voici la classification.
La figure 3 nous montre que les molécules d’AH sont capables de se fixer à une quinzaine de récepteurs, qu’ils soient transmembranaires, membranaires (c’est à dire mobiles à la surface de la cellule), liés aux protéines et GAG de la matrice extracellulaire ou encore dissous dans le liquide interstitiel. Certains comme RHAMM ont été très bien caractérisés et même clonés grâce aux travaux du Pr Eva Turley en 1992 (Turley E, 1992). La figure 4 résume les fonctions que nous avons pu élucider à date.

Ces fonctions peuvent aussi varier en fonction de la taille (de la longueur) de la chaine d’AH considérée. Une bonne illustration de ce phénomène a été démontré dans le processus de cicatrisation : Figure 5 : Rôle différentiel de l’AH en fonction de sa taille dans le processus de cicatrisation. Adapté à partir de Garg HG and Hales HA, 2004. La figure 5 nous montre que l’AH peut avoir tantôt un rôle inflammatoire caractérisé par une capacité à favoriser le recrutement et la migration de certaines cellules immunitaires indispensables aux phases précoces de la cicatrisation, tantôt une fonction tournée au contraire vers l’organisation des matrices extracellulaires et leur survie (vascularisation, hydratation)

Enfin, l’AH est aussi une molécule très conservée.  Durant l’évolution des espèces, la structure de l’acide hyaluronique n’a pas changé. Il a par exemple été détecté dans le sous-embranchement des céphalochordés, qui sont apparus il y a plus de 400 millions d’années (Csoka et al, 2013). A cause de cette caractéristique, les molécules d’AH extraites de différentes sources animales sont très bien tolérées par l’organisme humain et ne provoquent pas de réactions immunitaires spécifiques particulières.

Cependant, cette affirmation ne prend pas en compte le degré de pureté de l’AH utilisé dans les préparations injectables ainsi que les modifications chimiques éventuelles que les molécules d’AH auraient pu subir durant la fabrication de ces préparations. Il s’agit donc de paramètres clefs qui doivent être très étroitement contrôlés par les fabricants de médicaments ou de dispositifs médicaux contenant de l’AH, et qui seront discutés dans les paragraphes suivants.

Acide hyaluronique exogène : production.

1. Source animale.

Historiquement, la crête de coq est la première source d’AH ayant été réellement exploitée au niveau industriel.  Cet organe contient jusqu’à 7,5mg d’AH par gramme de tissu. L’AH est principalement localisé dans la zone fibreuse sous-cutanée de cet organe. Avant l’extraction, les crêtes devaient être lavées à l’eau et à l’acétone, jusqu’à ce que la solution devienne transparente, pour éviter une dégradation enzymatique et une oxydation délétère pour les molécules d’AH (Swann DA, 1968). Puis, les tissus étaient broyés pour entrer dans la phase d’extraction proprement dite. Différents solvent ont été utilisés comme l’eau distillée à haute température, des solutions salines ou bien encore des mélanges contenant des solvants organiques.

Des rendements de l’ordre de 93% ont pu être obtenus lorsque la température du milieu était amenée aux alentours de 80 degrés Celsius. Ces conditions avaient l’avantage d’inactiver les hyaluronidases tissulaires, mais induisaient dans le même temps une dépolymérisation partielle de l’AH puisque cette molécule est sensible à la température. Il convenait donc de trouver le bon compromis pour obtenir des tailles d’AH compatibles avec les applications envisagées.

Après l’extraction, la phase de purification était évidemment extrêmement importante pour s’assurer d’une biocompabilité maximale. En effet, des protéines, peptides, acides nucléiques, lipides et mucoplysaccharides étaient présents dans l’extrait. Bien que les méthodes utilisées étaient essentiellement basées sur une série de précipitations (alcool) / dissolutions (eau), le fait de travailler à partir d’une source animale nécessitait en complément des techniques plus complexes telles que des hydrolyses enzymatiques ou l’utilisation de solvants organiques comme le chloroforme.Akasaka et al, 1985 ; Laurent TC, 1970Ces protocoles longs, coûteux et moins efficaces en termes d’impuretés résiduelles ont conduit l’industrie à se diriger vers une production par bio-fermentation.

2. Source bactérienne

Dans ce système, l’AH est synthétisé sous forme de capsule extracellulaire par les bactéries Streptococci des groupes A et C.  Les cultures sont réalisées en milieu liquide, au sein de réacteurs permettant de contrôler finement les conditions de croissance. L’AH est donc sécrété dans le milieu de culture dans lequel baignent les bactéries (Figure 6).

Ce système de production est un processus sensible et un grand nombre de paramètres influent sur la taille des molécules d’AH synthétisées. Par exemple, le taux d’oxygène dissout, la disponibilité du substrat, le stress mécanique lié à l’agitation sont autant de facteurs influençant les caractéristiques de l’AH produit (Fallacara et al, 2018). Néanmoins, la synthèse bactérienne présente de nombreux avantages par rapport aux sources animales. En premier lieu, le rendement est beaucoup plus important (Armstrong et al, 1997).    Ensuite, la qualité du matériel produit est largement supérieure. De ce point de vue, 2 paramètres sont fondamentaux à considérer : le poids moléculaire et la pureté. En effet, la taille des molécules sera un déterminant important pour le fabricant de gels injectables puisque c’est un des paramètres qui lui permettront de mettre au point la rhéologie de ses produits. La pureté quant à elle doit s’entendre comme un prérequis puisque nous parlons ici des résidus protéiques et nucléiques issus de la lyse des bactéries nécessaire au processus de fabrication. Ce sont des molécules hautement immunogènes qui, si elles devaient se retrouver à trop forte concentration dans les gels injectés, pourraient être sources de réactions inflammatoires intenses.

Les autorités, et notamment l’EDQM (European Directorate for the Quality of Medicines & Healthcare) ont bien entendu édicté un certain nombre de normes qui imposent des seuils au-delà desquels l’AH ne peut pas être utilisé pour des produits injectables. En 2018, la production bactérienne mondiale d’acide hyaluronique atteignait 500 tonnes, incluant 230 tonnes d’AH de qualité alimentaire, 250 tonnes d’AH de qualité cosmétique et seulement 20 tonnes de qualité injectable. (https://cen.acs.org, 2018). Ces chiffres illustrent la difficulté technique d’obtenir des niveaux de pureté compatibles avec les applications médicales. 16 compagnies au monde disposent actuellement de la certification nécessaire pour fournir les fabricants de produits injectables. 

Fabrication et propriétés des gels d’AH injectables utilisés en esthétique

Entre 2010 et 2017 le nombre de procédures ayant fait appel à des gels injectables à base d’AH a augmenté de 97% (https://www.isaps.org/). En parallèle, les fabricants ont œuvré pour proposer de nombreuses innovations technologiques (Fagien et al, 2019).

En effet, malgré le fait que les produits partagent les mêmes sites d’injection, il existe des différences physico-chimiques et rhéologiques qui les distinguent, parfois de façon importante. La rhéologie, c’est-à-dire l’étude du comportement d’un matériau lorsqu’il est soumis à un stress mécanique, est la conséquence directe des choix effectués par les fabricants de gels injectables dans leurs processus de fabrication. Plus précisément, la concentration d’AH, son poids moléculaire et l’intensité de réticulation (ainsi que la technologie employée) sont des données qui vont directement impacter le comportement mécanique du gel. Il n’est généralement pas aisé d’aborder ces sujets par l’angle rhéologique.  En effet, cette science est complexe et fait appel à des notions mathématiques qui n’apportent peut-être pas les informations essentielles aux praticiens s’intéressant au sujet.

Nous allons donc ici d’abord nous intéresser aux besoins, puis en tirer un certain nombre de conclusions quant aux propriétés nécessaires pour déterminer si un produit injectable est adapté ou pas.

Nous allons donc ici d’abord nous intéresser aux besoins, puis en tirer un certain nombre de conclusions quant aux propriétés nécessaires pour déterminer si un produit injectable est adapté ou pas. Globalement, 3 types d’injections sont actuellement effectués dans les cabinets médicaux, indépendamment de l’indication considérée : des injections très superficielles (derme moyen à superficiel) dans le but d’améliorer la qualité et l’apparence de la peau, des injections moyennes (derme profond et hypoderme superficiel) dans le but de corriger les rides et ridules, et des injections profondes (hypoderme ou graisse profonde) dans le but de créer ou restaurer des volumes. Il est donc important de discuter de quelques aspects biomécaniques de ces différents tissus cible pour bien appréhender par la suite les paramètres rhéologiques. 1. Le derme Le derme est un tissu conjonctif dense, irrégulier et spécialisé comportant un réseau serré de collagène et de fibres d’élastine. (Leeds University Histology Guide). Le collagène représente à lui seul 75% du derme (poids sec). 28 types de collagènes ont été identifiés, mais c’est bien entendu le collagène de type I qui est majoritaire dans la peau, les types III, IV, VII, XIII et XIV sont aussi présents (Nemoto T et al, 2012). D’un point de vue mécanique, il est intéressant aussi de noter que le type XIV appartient à un sous-groupe de la superfamille des collagènes : les collagènes FACIT (Fibril Associated Collagen with Interrupted Triple helixes) (Shaw LM et al, 1991). Leur nature chimique est différente de celle des collagènes fibrillaires. En revanche, en s’associant avec les molécules de type I, ils renforcent la résistance mécanique des matrices dans lesquelles ils sont présents (Nemoto T et al, 2012). Plus précisément, il est possible de mesurer cette résistance en évaluant le module de Young. Ce calcul décrit la capacité d’un matériau à résister à une déformation lorsqu’une force lui est appliquée (McKee et al, 2011). Or, dans le cas du derme, on note que la résistance augmente fortement à mesure que le stress s’intensifie. Ce comportement exceptionnel est typique d’un contenu riche en collagène (Licup AJ et al, 2015). Notons aussi que plus les fibres de collagènes sont organisées et alignées, plus la valeur de tension maximale au-delà de laquelle les fibres sont irrémédiablement endommagées est grande (Aziz J et al, 2016). Les fibres élastiques sont un groupe de protéines matricielles qui sont synthétisées par le fibroblaste par un processus complexe appelé élastogénèse basée sur un précurseur, la tropoélastine. De la même façon que le collagène est indispensable pour donner à la peau sa résistance à la traction, l’élastine lui confère la propriété de s’étendre puis de revenir à la normale sans pour autant subir de dégâts mécaniques irréversibles (Rauscher S et al, 2012). Ce type de fibre est abondant dans le derme, et son importance est illustrée lorsque l’on étudie par exemple les symptômes des patients atteints de cutis laxa (maladie rare qui touche le système d’assemblage des fibres élastiques).  Outre des atteintes graves au niveau des systèmes respiratoires, digestifs et vasculaires, la peau de ces patients apparait molle, sans aucune tenue et présente prématurément un aspect âgé (Andiran N et al, 2002). Ces données illustrent donc le rôle prépondérant tenu par le réseau de fibres d’élastine dans les propriétés biomécaniques de la peau. Collagènes et élastine représentent donc les éléments principaux de la matrice extracellulaire du derme. Elle peut par conséquent être qualifiée d’extrêmement dense (comme illustré dans la figure 7). Ainsi, un gel d’acide hyaluronique injectable dédié à ce plan d’injection devra nécessairement être adapté rhéologiquement à cet environnement particulier. Nous verrons par la suite de quelle manière.
2. L’hypoderme Le tissu adipeux sous-cutané est un tissu connectif se situant entre le derme et les aponévroses musculaires. Histologiquement, c’est une association lâche d’adipocytes remplis d’une gouttelette lipidique (90 à 99% de triglycérides) et de 2 à 3% de protéines. Le diamètre de ces cellules est important : 30 à 70µm (Avram AS et al, 2005). Elles sont organisées en lobules graisseux séparés les uns des autres par des septa de tissu conjonctif. Comparé au derme, très peu d’auteurs se sont consacrés à la biomécanique du tissu adipeux, mais un certain nombre de travaux ont montré que le module de Young tissus graisseux pouvait varierde 0,5 à 25 KPa (Kilo Pascal)(Gefen A et al, 2007).  Il est intéressant de comparer ces valeurs aux 21 à 39 -MPa (Mega Pascal) mesurés sur le derme (McKee et al, 2011) puisqu’elles sont très nettement inférieures. Ces résultats sous-entendent donc un comportement mécanique extrêmement différent du derme, qui doit nécessairement être expliquée par des différences structurelles fondamentales au niveau de la matrice extracellulaire. Lorsque le tissu adipeux est observé en microscopie électronique à balayage, ces différences apparaissent de manière encore plus évidente. La Figure 8 est tirée d’un article (Panetttiere P et al, 2011) dont les auteurs ont cherché à mettre en évidence les caractéristiques ultra-structurelles du coussin graisseux trochantérique. En effet, il s’agit d’une source potentielle de graisse intéressante pour les greffes autologue, y compris au niveau facial (Raskin BI, 2009). Le réseau fibrillaire soutenant les adipocytes apparait donc beaucoup moins dense et fourni que celui qui peut être retrouvé dans le derme. Le comportement mécanique de l’hypoderme sera donc non seulement très différent de celui du derme, mais sa structure imposera aussi une adaptation des gels d’acide hyaluroniques qui y seront injectés.

3. Adaptation des injectables au plan d’injection

Nous venons donc de décrire 2 environnements caractéristiques dans lesquels les produits seront amenés à exercer leurs effets tout au long de leur vie ‘active’. Il convient donc maintenant de rappeler que ces gels sont des matériaux ‘visco-élastiques’.  En d’autres termes, ils ont tous une composante dite visqueuse (η) qui leur permet de s’étaler plus ou moins, et une composante élastique qui leur permet de résister à une force exogène et donc de revenir plus facilement à sa forme d’origine (Heitmiller K et al, 2021).  Ces 2 propriétés sont illustrées par la figure 10 .

Transposons maintenant ces 2 paramètres simples aux données descriptives du derme et de l’hypoderme développées plus haut :

Derme: un gel destiné à être injecté dans ce plan doit présenter une viscosité (η) faible étant donné la forte densité de la matrice extracellulaire. Le gel respectera ainsi les structures histologiques et sera peu traumatisant. Il aura une forte tendance à s’étaler. D’autre part, le derme est par définition superficiel. Il y aura donc peu de pression induite par les tissus se trouvant entre le gel et la surface cutanée. Le produit ne doit donc pas présenter une élasticité trop importante sous peine de provoquer une sur-correction néfaste aux résultats esthétiques attendus.

Hypoderme: le raisonnement s’inverse. Le gel est injecté dans un tissu présentant une matrice extra-cellulaire beaucoup moins dense. Sa viscosité (η) doit alors être élevée de façon à pouvoir rester le plus possible dans la zone où le praticien souhaite le placer. Le tissu adipeux est aussi plus profond que le derme. Le gel devra donc faire face à une compression beaucoup plus importante et son élasticité doit être ajustée en conséquence. Si tel n’est pas le cas, le produit aura tendance à s’écraser sous cette force et ne pourra pas induire en surface la création de volume souhaitée.

Un troisième paramètre est important à considérer : la cohésivité.  Celle-ci peut être définie par la capacité du matériau à se dissocier ou non. En d’autres termes, selon la technologie employée, les molécules d’AH auront plus ou moins d’affinité pour leurs voisines (Sundaram H. et al, 2015). Ceci se traduit par une distribution histologique différente dans les tissus après injection.Si la cohésivité est faible, le produit aura tendance à se fractionner en une myriade de micro-bolus séparés les uns des autres.A l’inverse, si la cohésivité est forte, le produit semblera se placer d’un seul tenant dans le tissu cible, de manière homogène. La cohésivité est donc un facteur important à considérer en association avec la viscosité quant au respect et à la préservation des structures intimes de la matrice extracellulaire (Tran C et al, 2014). Une bio-intégration optimale doit aussi très logiquement constituer une notion clef pour la sécurité des produits.

Il existe bien entendu d’autres contraintes inhérentes aux mouvements provoquées par les contractions musculaires, rendant la définition de la rhéologie idéale pour un plan d’injection plus complexe que la combinaison de l’élasticité, de la viscosité et de la cohésivité (Gavard-Molliard S et al, 2018).  Néanmoins, le raisonnement développé plus haut constitue la base pour pouvoir mettre en place une gamme de produits injectables cohérente et logique.

4. Comment peut-on faire varier la rhéologie d’un gel ?

Trois paramètres principaux peuvent être manipulés pour obtenir la rhéologie souhaitée.

La réticulation : Cette étape de fabrication du gel a pour but initial d’augmenter sa durée de vie in vivo. En effet, nous avons vu plus haut que l’acide hyaluronique endogène était une molécule très fragile avec une demie-vie faible. Pour l’augmenter, la réaction de réticulation permet de rapprocher les chaines d’AH les unes des autres. Pour ce faire, il est nécessaire d’utiliser une molécule réactive, capable de créer des liaisons covalentes entre 2 molécules d’AH. L’écrasante majorité des produits disponibles sur le marché utilisent le 1,4-butanediol diglycidyl ether (BDDE) pour cette réaction.

Il est aussi possible d’utiliser d’autres molécules, mais celles-ci doivent nécessairement présenter une forte activité chimique pour pouvoir réagir avec l’AH. C’est par exemple le cas du polyethylene glycol (PEG) qui dont être fonctionnalisé pour devenir du PEGDE (polyethylene glycol diglycidyl ether) avant d’être utilisé (Zerbinati et al, 2021). Lorsque la réticulation est effectuée, l’espace entre les molécules d’AH devient faible au point de gêner l’accès des hyaluronidases endogènes.  Mais ces modifications tridimensionnelles ont aussi un très fort impact sur la rhéologie.  En effet, la taille des mailles du réseau créé diminue au fur et à mesure que le taux de réticulation augmente. L’élasticité et la viscosité sont alors fortement augmentées.

La concentration : Lorsque l’AH se trouve en solution aqueuse à pH physiologique, les groupements carboxyle sont dissociés et le polymère porte alors un très grand nombre de charges négatives. Par conséquent, il est capable d’attirer la plupart des cations osmotiquement actifs (Sodium, potassium, calcium…), mais aussi les molécules d’eau.

Ainsi, l’AH peut fixer via des liaisons faibles plus de 1000 fois le poids en eau de la chaine d’AH considérée (Khabarov et al, 2015). A cause de cette propriété, les chaines d’AH occupent un volume extrêmement large et sont capables de former des gels, même à faible concentration. Si cette concentration augmente, alors la viscosité de la solution augmente, notamment grâce à la formation d’un réseau tridimensionnel basé sur la formation de liaisons électrostatiques faibles. Il s’agit donc d’un moyen simple pour agir sur la rhéologie des gels. C’est donc aussi un facteur qui augmentera l’hygroscopie du gel considéré.

Le poids moléculaire des molécules d’AH : Là encore, ce paramètre va influer sur la densité du réseau formant le gel. Plus la taille des chaines d’AH est grande, plus leur repliement est important, provoquant la encore une augmentation drastique de la viscosité.

Les fabricants de gels doivent donc maitriser finement les effets différentiels de ces trois paramètres.  Par exemple, il est possible qu’une contrainte particulière impose de baisser ou d’augmenter l’un de ces facteurs (la concentration par exemple, de façon modifier l’hygroscopie), mais il sera alors largement possible de maintenir le comportement rhéologique initial en jouant sur les deux autres paramètres. C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible de se baser sur la seule valeur de concentration pour prévoir le comportement d’un gel et pour conclure par exemple que celui-ci est très volumateur et est adapté au tissu graisseux.

Conclusion

L’acide hyaluronique est donc une molécule endogène indispensable aux matrices extracellulaires et aux propriétés remarquables qui sont exploitées par l’organisme dans des compartiments bien précis (humeur vitrée, cavité articulaire…).

C’est aussi une molécule biologiquement active impliquée dans de nombreux processus de « signaling ». Elle est extrêmement conservée à travers les espèces, ce qui nous a permis de développer des applications humaines à partir de systèmes de production bactériens, donc fiables et reproductibles.

Parmi ces utilisations, la médecine esthétique est en pointe, puisque c’est dans cette spécialité que les challenges pour les fabricants sont les plus demandants.  En effet, les tissus injectés sont histologiquement très divers, le niveau de complexité anatomique et physiologique de la face est important, et la tolérance aux effets secondaires très réduite.

Ainsi, le comportement rhéologique des gels a dû être approfondi et raffiné par les fabricants pour constamment tendre vers la meilleure bio-intégration possible tout en visant la meilleure performance clinique possible.